@A_C_Husson

Genre!

Je reviens encore une fois sur le conflit matérialisme/queer: est-ce que les analyses matérialistes abordent d'une manière ou d'une autre la question du langage ? Comment le langage et le discours sont-ils perçus au sein des analyses matérialistes ?

Oui. Monique Wittig par exemple, que j'évoquais dans ma précédente réponse, s'y intéresse beaucoup. Dans "La marque du genre", par exemple, elle s'intéresse au genre grammatical comme manière de renforcer la "division des êtres en sexes": Elle montre que ce n'est pas seulement un problème de grammaire mais que cela touche à l'existence des personnes. Elle critique la division entre abstrait et concret, langage et réel, et préfère ce qu'elle appelle "une approche matérialiste du langage": selon elle, "même les catégories abstraites et philosophiques agissent sur le réel en tant que social. Le langage projette des faisceaux de réalité sur le corps social. Il l'emboutit et le façonne violemment. Les corps des acteurs sociaux, par exemple, sont formés par le langage abstrait aussi bien que par le langage non abstrait." C'est pour ça qu'elle intéresse les théoricien.nes queer, Butler en tête: elle relie matérialité (réalité sociale, réalité des corps) et langage. Ce qu'elle exprime là, Butler l'exprimera dans sa théorie de la performativité: le genre n'est pas donné, immuable, on joue son genre, notamment grâce au langage.
La page Wikipédia à son sujet est assez claire: http://fr.wikipedia.org/wiki/Monique_Wittig#Th.C3.A9ories
Wittig n'est pas très facile à lire mais si tu te sens d'attaque:
http://ressourcesfeministes.files.wordpress.com/2012/08/la-pensc3a9e-straight.pdf
Elle a aussi écrit des romans...
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Il y-a-t-il des études sur les liens entre le genre et l'alimentation? J'ai l'impression que les garçons sont plus souvent amenés à manger plus, de la viande tandis que les filles doivent "faire attention" et privilégier les légumes.

HubertDeschamps’s Profile PhotoHubert Deschamps
Oui, c'est tout à fait juste, et ça a été étudié en anthropologie, notamment par Françoise Héritier. Citation trouvée sur Wikipédia (je n'ai lu que des extraits d'Héritier): "L'alimentation des femmes a toujours été sujette à des interdits. Notamment dans les périodes où elles auraient eu besoin d'avoir un surplus de protéines, car enceintes ou allaitantes – je pense à l'Inde, à des sociétés africaines ou amérindiennes. Elles puisent donc énormément dans leur organisme sans que cela soit compensé par une nourriture convenable ; les produits « bons », la viande, le gras, etc. étant réservés prioritairement aux hommes. (...) Cette « pression de sélection » qui dure vraisemblablement depuis l'apparition de Néandertal, il y a 750 000 ans, a entraîné des transformations physiques. A découlé de cela le fait de privilégier les hommes grands et les femmes petites pour arriver à des écarts de taille et de corpulence entre hommes et femmes." ( Libération 10 avril 2007, supplément Femmes et pouvoir, page S6 - à voir aussi dans Masculin, Féminin. La pensée de la différence).
Je me souviens avoir découvert cette question et le travail de Françoise Hériter dans une vidéo sur les clichés http://www.dailymotion.com/video/xm2tvv_les-cliches-selon-francoise-heritier_webcam /

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J'ai plein de questions sur le terme "slut-shaming". On m'a fait remarquer que c'était violent parce que c'est déjà appeler la femme "slut", ça me semble intéressant comme point de vue. Peut-on se réapproprier le terme en disant que ça n'est pas une insulte ? Existe-t-il un autre terme ?

QueenKane’s Profile PhotoQueen Kane
Justement, oui, le terme repose sur la réappropriation de l'insulte. C'est une tactique militante bien connue, notamment dans les milieux LGBT (comme avec le mot "queer", ou les lesbiennes se qualifiant elles-mêmes de "gouines" par ex), mais pas seulement. Il y a depuis longtemps un débat autour du terme "nigga", pour "nigger", qui est généralement utilisé comme terme affectueux quand il est employé, par exemple, par des Africains-Américains mais reste une insulte s'il est utilisé par une personne blanche pour désigner une personne noire. "Slutshaming", "slutwalk" reposent sur le même principe. L'idée est de vider le mot du stigmate qu'il transporte et de critiquer le fait qu'il sert à stigmatiser la sexualité des femmes, non à décrire un comportement "objectif"; le meilleur moyen de mettre cela en évidence est de montrer l'asymétrie entre sexualité masculine et féminine, "don juans" et "salopes". Donc non, le terme n'est pas censé être violent s'il est compris dans le contexte d'une réappropriation.

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Pour reprendre ma question sur une société égalitariste: ça relève pas mal de l'utopie puisqu'il s'agit de remettre en question des milliers d'années d'histoire mais... est-ce que la destruction des identités de genre est envisagée pour créer une société égalitariste ?

La fin du genre? Oui, c'est l'objectif de certaines féministes, et je m'inclus là-dedans, mais j'ai une position compliquée (ambiguë même) là-dessus. C'est un objectif logique dans la mesure où je m'inscris dans une visions où le genre représente, par définition, un système inégalitaire. En même temps, j'ai bien conscience que c'est plutôt une utopie vers laquelle tendre, et que c'est beaucoup plus compliqué que cela, puisqu'il est vrai que les représentations autour de la différence de sexes (aussi asymétriques et inégalitaires qu'elles soient) sont au fondement des organisations sociales - c'est donc toute l'organisation sociale qui est à revoir. C'est peut-être une vision manichéenne des choses, mais je ne vois que deux positions féministes possibles: une vision qui s'accommode du système du genre et essaie d'obtenir l'égalité juridique et politique, en réformant donc le système de l'intérieur, et une autre qui vise, fondamentalement, à la subversion des normes de genre pour accéder à une vraie égalité. La première vision me paraît politiquement et théoriquement très insuffisante. Mais je suis toujours en train d'évoluer là-dessus :-)

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Il m'arrive d'utiliser la notion de "politiquement correct" pour désigner l'hypocrisie face à l'intolérance: par exemple les token minority dans la culture, le refus de parler de "race" (le terme socio, pas bio) ...

Ah oui, je comprends. Mais si tu fais une rapide recherche google, tu te rendras compte que dans la grande majorité des cas, l'expression est employée de manière critique par des gens de droite pour désigner des comportements qu'ills associent à la "bien-pensance" de gauche...

J'ai vu comme définition du "privilège sexuel": le privilège des personnes sexuelles par rapport aux personnes asexuelles. Mais j'ai l'impression qu'il est aussi associé (à tort selon moi) au concept de "misère sexuelle"

Du coup je lis des articles sur le sujet.
http://asexualite.wordpress.com/2014/01/28/mais-lasexualite-cest-pas-une-vraie-oppression/#more-981
http://pink.reveries.info/post/2014/01/27/Sur-les-privil%C3%A8ges-monosexels-et-sexuels
Je suis assez d'accord avec le 2ème. Attention, je répète qu'on vit bien dans une société où la sexualité est la norme, mais dire cela est tellement vague que cela appellerait plein d'autres précisions. Et je reconnais bien que sortir de cette norme peut entraîner des formes de punition (personnes mal considérées, vexations). Mais cela recouvre une telle variété de cas, par exemple celui que tu évoques de la "misère sexuelle", que parler de privilège sexuel n'a, aucun sens, d'autant que, je me répète, il faudrait vraiment me prouver que ces vexations conduisent à des discriminations.

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J'aimerais beaucoup m'attaquer à la lecture de Judith Butler, j'ai vu quelques interviews, lu quelques citations mais ça me fait toujours un peu peur... d'ailleurs j'ai aussi lu qu'elle rendait volontairement ses écrits flous. Alors, Judith Butler, c'est accessible quand même ou pas ?

QueenKane’s Profile PhotoQueen Kane
La première fois que j'ai lu Butler, j'ai dû m'accrocher (la 2ème, la 3ème et les fois suivantes aussi!). Je précise que je n'ai pas fait de cursus en études de genre, donc je me suis forgé des connaissances en autodidacte de ce côté-là, mais j'ai quand même une formation littéraire qui m'a fourni quelques points de repère pour la comprendre. Je dois souvent retourner à Trouble dans le genre, et à chaque fois j'y trouve quelque chose de nouveau. J'aime beaucoup Le pouvoir des mots mais ce n'est pas non plus très accessible sans formation philo/littéraire. Idem, à mon avis, pour le reste de ses bouquins. Donc malheureusement, je dois dire que c'est assez inacessible... Il faudrait vraiment que je m'attelle à la vulgariser sur mon blog mais c'est un boulot énorme.

Que recouvre le féminisme radical ? J'ai l'impression qu'il est souvent associé au féminisme matérialiste, mais je n'arrive pas à voir ce qui l'en différencie... (il faudra que je fasse une infographie des courants féministes un jour!)

Pour les anti-féministes, le "féminisme radical" commence dès qu'une féministe l'ouvre - mais ce n'est évidemment pas de ça qu'il s'agit quand on parle du courant. Il est assez compliqué de répondre parce que 1) je connais très mal ce courant 2) il me semble qu'il est très divers.
Le féminisme matérialiste représente une partie du féminisme radical, mais les deux ne se confondent pas. Il s'inspire du marxisme et en pointe les limites.
D'après ce que j'en lis, beaucoup de fondements idéologiques du féminisme radical sont partagés par la majorité des féministes actuelles: l'insistance sur l'idée que le genre est construit, la lutte contre le patriarcat et contre une vision essentialiste de la différence des sexes... Les prises de position les plus conflictuelles; au sein du féminisme, concernent la sexualité et l'identité de genre. Les radfems sont généralement anti-porno et anti-prostitution, beaucoup sont transphobes (d'où l'acronyme TERF: trans-exclusionary radical feminists), mais ce n'est pas le cas de toutes, il faut quand même le dire. Christine Delphy, par exemple, n'est pas anti-travail du sexe, mais ses positions sur les transidentités sont très controversées (je ne connais pas les détails).

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Que penses-tu de la notion de "politiquement correct" ?

Là tu tapes directement dans mes intérêts de recherche :-) C'est une expression employée à tort et à travers, pour comprendre vraiment ce qu'elle implique il faut savoir qui l'utilise et pourquoi. L'expression est généralement employée par des gens de droite pour désigner les "excès" de la gauche, c'est une espèce de formule magique pour placer, d'un côté, les "bobos bien-pensants" et de l'autre la liberté d'expression et de pensée. La plupart du temps, il s'agit de dénoncer un langage "politiquement correct", par exemple le fait de parler d'Africains-Américains, de féminiser la langue, de condamner les insultes basées sur l'appartenance à un groupe... Je suis donc évidemment contre cette façon de présenter des efforts égalitaristes, basés sur le respect des personnes et des identités, comme une atteinte à la "liberté d'expression".

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Qu'est-ce que le "privilège sexuel" ? (j'en ai souvent entendu parler, mais avec des définitions très variées)

Je n'ai vu ça qu'une seule fois, et c'était défini comme le privilège des gens ayant une vie sexuelle active VS celleux qui n'en ont pas. Si c'est ça, ça n'a selon moi pas de sens. Cette façon de parler de privilège à tout va fait que le concept perd vraiment de son sens, à mon avis. Oui, la sexualité, au sens où on l'entend généralement (à deux, si possible en couple, si possible hétéro) est la norme; oui, les personnes n'ayant pas de vie sexuelle ou les personnes asexuelles peuvent subir des vexations. Mais le privilège se traduit de manière socio-économique: ces vexations n'entraînent pas pour autant des discriminations matérielles (perte d'emploi, refus de louer un appartement, agression...), et on ne peut franchement pas comparer ça, par exemple, aux insultes et agressions verbales ou réelles que peuvent subir les personnes LGBT.

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Language: English